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ÉDITORIAL : Oligui Nguema, la République en mouvement

Une semaine pour lier mémoire, rupture et renaissance nationale

Par Thomas René

La semaine du 10 au 16 août 2025 restera dans les annales récentes du Gabon. En l’espace de sept jours, le Chef de l’État, Brice Clotaire Oligui Nguema, a parcouru le pays en multipliant les inaugurations, relançant des chantiers abandonnés, livrant des infrastructures sociales et posant des gestes diplomatiques. Un rythme effréné qui tranche avec l’image d’une République longtemps engluée dans l’immobilisme. Mais derrière cette cadence, que faut-il réellement voir ?

Fougamou et Lambaréné : replacer l’humain au cœur du développement

À Fougamou, l’inauguration de la maison de la culture et des traditions, ainsi que celle de la maison de l’enfant en difficulté, dit beaucoup sur la nouvelle orientation voulue : la reconnaissance de l’identité et la protection des plus vulnérables. C’est une rupture avec une gouvernance centrée sur les seules infrastructures routières ou administratives.

À Lambaréné, le marché moderne « Isaac » matérialise enfin une promesse vieille de vingt ans. Ici, la portée est double : offrir de la dignité aux commerçantes souvent reléguées à l’informel, mais aussi redonner au commerce local un cadre structuré et sécurisé. C’est un geste social, mais aussi politique, car le marché est un lieu de vie et d’influence.

Franceville et Moanda : redonner sens aux capitales provinciales

La tournée s’est poursuivie à Franceville avec une pluie d’inaugurations : pavillon présidentiel rénové, salle de conférence moderne, grande boucherie transformée en centre commercial. Le lendemain, l’hôpital interdépartemental de Moanda a été ouvert. Ces infrastructures montrent une volonté de renforcer le rôle des capitales provinciales, longtemps perçues comme périphériques dans l’agenda national.

Ici, l’analyse politique est claire : Oligui Nguema veut briser l’image d’un Gabon centralisé autour de Libreville, et offrir aux provinces des équipements dignes d’une République équilibrée. Mais l’enjeu sera la durabilité : l’entretien, la gestion et la formation des ressources humaines pour que ces lieux ne deviennent pas de nouveaux éléphants blancs.

Bikélé et Libreville : logements et santé, la reconquête du social

Le logement est un marqueur politique fort. À Bikélé, 160 logements ont été remis aux Forces de Défense et de Sécurité, et 260 villas livrées à des familles sinistrées depuis plus d’une décennie. Au-delà de l’aspect humanitaire, c’est un signal clair envoyé aux corps habillés, piliers du pouvoir, et aux populations urbaines frustrées par l’attente interminable des relogements.

Au CHUL de Libreville, la rénovation du service de pédiatrie, grâce à un partenariat international, s’inscrit dans une diplomatie pragmatique où l’ouverture au monde se traduit en services concrets pour les citoyens. Mais elle rappelle aussi les failles du système de santé national, qui dépend encore trop souvent de soutiens extérieurs pour ses équipements essentiels.

Kango, Cocobeach et Akanda : l’école, la foi et la République locale

L’éducation reste le grand pari de cette séquence. Le Complexe évangélique de Kango, avec ses salles de classe et ses infrastructures sportives, affirme que l’école peut être portée par des alliances entre État, société civile et communauté religieuse. À Cocobeach, la station-service flambant neuve et la route bitumée sont bien plus que des équipements : elles représentent une réintégration d’une commune longtemps marginalisée.

Enfin, à Akanda, l’inauguration du lycée d’excellence CTRI et du complexe scolaire Béret Vert B traduit une volonté de refonder l’école gabonaise autour de l’excellence, mais aussi de la discipline. Le choix du nom « CTRI » n’est pas neutre : il inscrit la mémoire du coup d’État fondateur de la transition dans l’imaginaire éducatif, liant éducation et pouvoir militaire. Le siège du Comité National Olympique parachève cette logique : sport, jeunesse et nation deviennent des vecteurs de cohésion politique.

Histoire et mémoire : inscrire l’action dans une continuité nationale

Le recueillement devant le mausolée de Léon Mba, père de l’indépendance, inscrit cette semaine d’action dans une continuité historique. Le Président a voulu rappeler que l’avenir ne peut se construire sans mémoire. Ce geste symbolique cherche à tisser un fil entre la légitimité révolutionnaire du CTRI et la légitimité républicaine de la Nation. C’est un choix stratégique : ancrer la rupture de 2023 dans l’histoire longue du Gabon.

Diplomatie et économie : ouvrir le champ des possibles

Les rencontres diplomatiques avec l’émissaire du Président Félix Tshisekedi et avec le Ministre du Commerce extérieur des Émirats Arabes Unis illustrent un double cap. D’un côté, renforcer les liens avec les voisins pour consolider la stabilité régionale. De l’autre, attirer les investissements des pays du Golfe dans des secteurs stratégiques comme l’énergie, le ferroviaire et l’hôtellerie. Cette ouverture vise à diversifier les partenariats et réduire la dépendance exclusive à certains bailleurs historiques.

Un discours pour sceller la vision

À la veille du 17 août, le Chef de l’État a pris la parole pour donner un sens à cette semaine : bâtir une 5ᵉ République où compétence et probité remplacent clientélisme et géopolitique. Son discours est apparu comme le prolongement logique des gestes concrets posés sur le terrain. L’unité nationale, la discipline et le travail en sont les maîtres mots. Mais la question demeure : cette intensité pourra-t-elle se maintenir au-delà des symboles et des premières inaugurations ?

Une République en chantier

En une semaine, le Gabon a vu renaître marchés, hôpitaux, logements, écoles, routes et infrastructures sportives. L’image est celle d’une République en mouvement, d’un pays qui tente de rattraper des décennies de retard. Mais derrière la vitesse et les inaugurations se cachent deux défis majeurs : la durabilité des réalisations et la capacité de l’État à assurer leur gestion dans le temps.

La rupture avec l’immobilisme est indéniable. Reste à savoir si cette cadence s’installera dans la durée, ou si elle demeurera une parenthèse historique dans l’agenda d’un président qui veut inscrire son nom dans la pierre… et dans la mémoire collective.