PAR Thomas René de Globe infos.
Il y a des faits qui ne relèvent plus du simple fait divers. Des faits qui obligent à s’arrêter, à regarder en face, à interroger ce que nous sommes devenus. Ce qui s’est produit récemment à Bitam, dans le Woleu-Ntem, appartient à cette catégorie. Non pas parce que l’horreur serait nouvelle, mais parce que l’indifférence, elle, est désormais installée.

À Bitam, selon des informations rapportées par La Une Woleu-Ntemoise, une jeune fille de 18 ans a été livrée à plusieurs garçons, filmée, monnayée, possiblement droguée, puis abandonnée à son sort pendant que les images faisaient le tour des téléphones. Cinq jeunes hommes aujourd’hui entre les mains de la justice. Une victime, elle, alitée, entre soins intensifs et silence social. Deux trajectoires. Un même naufrage.
La chute morale n’est plus accidentelle, elle est organisée
Ce drame n’est pas un dérapage. Il est le produit d’un système qui a cessé de poser des limites.
Ici, la sexualité n’est plus un espace d’intimité, mais une scène. Le corps n’est plus respecté, il est consommé. L’humiliation n’est plus une honte, elle est une monnaie sociale. Filmer devient un acte de pouvoir. Diffuser, un moyen d’exister.
Ce qui terrifie n’est pas seulement l’acte, mais la mécanique. Chacun joue son rôle : l’un recrute, l’autre filme, les autres consomment. Et autour, la société regarde, partage, commente. La barbarie se banalise quand elle cesse de choquer.

Une jeunesse sans repères, une société sans boussole
À force de pointer du doigt “la jeunesse”, on oublie de se regarder.
Car cette dérive n’est pas née dans le vide.
Elle s’est construite dans des familles souvent débordées, parfois absentes, où l’autorité s’est dissoute dans la précarité. Dans des quartiers où la drogue circule plus facilement que les livres. Dans un espace numérique sans régulation, où la violence devient virale et l’indécence rentable.
Elle s’est nourrie aussi d’un imaginaire collectif toxique, où certains modèles publics glorifient l’argent rapide, la sexualisation extrême, la domination, l’illégalité. Quand la réussite est réduite à l’exposition et à la transgression, l’éthique devient un luxe inutile.

L’État spectateur, la prévention en panne
Il serait malhonnête de faire porter toute la responsabilité aux jeunes.
L’État arrive souvent après le drame. Les arrestations rassurent un instant, mais elles ne répondent pas à la racine du mal. Où sont les politiques de prévention ? Où sont les structures d’écoute, d’encadrement, d’éducation affective et citoyenne ? Où sont les sanctions réellement dissuasives contre les trafics de stupéfiants qui empoisonnent les quartiers ?
L’absence de réponse structurée laisse le champ libre à la loi du plus fort. Et quand l’impunité devient une habitude, la violence s’installe comme une norme sociale.
Le corps des jeunes filles comme champ de bataille
Ce sont elles, surtout, qui paient le prix fort.
Quand l’esprit est abandonné, c’est le corps qui devient la cible. Le corps exposé, exploité, marchandisé. La violence sexuelle n’est plus perçue comme un crime absolu, mais comme un “jeu”, un “buzz”, un épisode de plus dans le feuilleton numérique de la déchéance.
Si les soupçons de soumission chimique évoqués dans cette affaire sont confirmés, alors il ne s’agit plus seulement d’une dérive morale, mais d’un crime d’une extrême gravité. Et le silence collectif autour de ces pratiques est une complicité passive.

Bitam n’est pas un cas isolé, c’est un signal d’alarme
Ce qui se joue à Bitam se joue ailleurs au Gabon.
Le Woleu-Ntem n’est pas une anomalie géographique, mais un miroir grossissant. Ce que l’on voit là aujourd’hui, d’autres localités le verront demain si rien ne change.
Refuser de nommer la crise, c’est l’accepter. Continuer à traiter ces drames comme de simples “histoires de jeunes”, c’est préparer leur répétition.
Une urgence nationale
Il n’est plus temps de s’indigner à distance. Il est temps de choisir.
Soit le Gabon décide de sauver sa jeunesse par l’éducation, la prévention, la responsabilité parentale, la régulation numérique et des sanctions fermes. Soit il accepte de voir émerger une génération pour qui la violence, l’humiliation et la drogue sont des repères ordinaires.
Une société qui banalise l’indécence finit toujours par perdre son humanité.
Bitam doit rester une alerte. Pas un précédent.
Source : La Une Woleu-Ntemoise
