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Gabon : à l’Assemblée nationale, Marcellin Mvé Ebang éclaire la Constitution de 1991

ÉDITORIAL : relire la Constitution pour réapprendre la République

Par Thomas René pour Globe infos.

Il est des livres qui arrivent à contretemps et qui, précisément pour cette raison, deviennent indispensables. En présentant à l’Assemblée nationale son Commentaire de la Constitution du 26 mars 1991, le Pr Marcellin Mvé Ebang ne signe pas un simple ouvrage de droit. Il pose un acte politique au sens noble : celui de la mémoire institutionnelle dans un pays en pleine recomposition républicaine.

Pr Marcellin Mvé Ebang auteur du livre

À l’heure où le Gabon s’est doté, en décembre 2024, d’une nouvelle Loi fondamentale, certains s’interrogent : à quoi bon revenir sur un texte abrogé ? La réponse est simple et dérangeante à la fois. On ne refonde pas un État sans comprendre les fondations sur lesquelles il s’est longtemps appuyé. La Constitution de 1991 fut ce socle, imparfait certes, (09 révisions en 32 ans) mais structurant, né de la Conférence nationale et porteur d’une promesse démocratique longtemps différée.

La Constitution, miroir des rapports de force

Relire la Constitution de 1991, c’est d’abord accepter de regarder en face l’histoire politique récente du Gabon. Celle d’un texte pensé pour équilibrer les pouvoirs, mais progressivement fragilisé par une série de révisions opportunistes. À mesure que l’exécutif se renforçait, le parlementarisme reculait. L’architecture institutionnelle, conçue pour la stabilité, s’est peu à peu transformée en mécanique de concentration du pouvoir.

Le mérite de Marcellin Mvé Ebang est d’aborder cette réalité sans procès d’intention ni posture militante. Son commentaire éclaire les silences du constituant, contextualise les choix juridiques et met en évidence une vérité souvent éludée en Afrique centrale : ce ne sont pas les Constitutions qui échouent, mais l’usage politique qui en est fait.

Présence remarquée de Jean François Ndoungou ancien président de l’Assemblée nationale de la transition.

République contre personnalisation du pouvoir

L’un des fils conducteurs de l’ouvrage tient dans cette distinction fondamentale entre République et pouvoir personnalisé. Le Gabon, depuis 1960, n’est pas une monarchie. Il est une République fondée sur l’élection, la citoyenneté et la souveraineté populaire. Toute tentative de transmission dynastique du pouvoir y est, par essence, une anomalie institutionnelle.

Que la Constitution de 2024 ait inscrit noir sur blanc l’interdiction de toute succession familiale à la tête de l’État n’est pas un hasard. C’est l’aboutissement d’un long refoulement politique, que la Constitution de 1991, dans ses ambiguïtés, n’avait jamais totalement levé. En ce sens, le commentaire de Mvé Ebang agit comme un révélateur : il montre ce que le droit n’a pas osé dire, mais que la pratique a fini par imposer.

Le droit comme outil de citoyenneté

Dans un pays où la Constitution est souvent citée, rarement lue et encore moins comprise, l’ouvrage répond à une urgence démocratique. Vulgariser sans simplifier à outrance, expliquer sans confisquer le savoir : tel est le pari réussi de ce travail de près de 500 pages.

Loin d’un exercice réservé aux juristes, ce commentaire s’adresse aux citoyens, aux étudiants, aux parlementaires, à tous ceux qui veulent comprendre comment se fabrique le pouvoir, comment il se limite ou se dérègle. À ce titre, l’écrit devient un instrument de responsabilisation collective, une forme de contre-pouvoir intellectuel.

Une transition qui interroge l’avenir

La présentation de cet ouvrage au cœur même de l’Assemblée nationale n’est pas anodine. Elle intervient dans un moment charnière, où la Transition gabonaise tente de transformer une rupture politique en refondation institutionnelle durable. Le risque serait de croire que l’adoption d’une nouvelle Constitution suffit à tourner la page.

Or, comme le rappelle implicitement l’ouvrage, le constitutionnalisme est un processus, pas un événement. Il suppose une culture politique, un respect des équilibres et une vigilance citoyenne constante. Sans cela, les meilleurs textes deviennent des coquilles vides.

Le pari de la continuité républicaine

En invitant Marcellin Mvé Ebang à commenter, demain, la Constitution issue du référendum de 2024, les intervenants ont posé un défi salutaire. Celui de soumettre le nouveau texte au même regard critique, rigoureux et démythifiant.

Car la vraie question n’est pas de savoir quelle Constitution est la meilleure, mais laquelle survivra à l’épreuve du pouvoir. En relisant celle de 1991, le Gabon se donne une chance rare : celle d’apprendre de ses propres contradictions pour éviter de les reproduire.

Dans un continent où l’amnésie institutionnelle est souvent la règle, cet ouvrage rappelle une évidence trop souvent oubliée : une République ne se proclame pas, elle se construit et se lit.