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[Gabon] Crise sociale dans le secteur maritime : la colère des marins de PESCHAUD révèle les dérives d’un système à bout de souffle

Par Piaco la plume de Globe infos.

Libreville, 9 novembre 2025. La déclaration de presse de l’Organisation des Marins et Employés des Ports et Rades (OMEPR), rendue publique ce samedi 8 novembre au siège du Réseau national des journalistes indépendants (RENAJI), met à nu un malaise profond au cœur du secteur maritime gabonais. Derrière les termes mesurés d’un syndicat en colère, se dessine une crise structurelle faite d’abus de pouvoir, de connivences administratives et de précarisation systématique des travailleurs nationaux.

Le bureau de LOME PR lors de la déclaration

Un secteur stratégique miné par des pratiques archaïques

Depuis plus d’une décennie, les marins gabonais employés par la société PESCHAUD GABON, acteur historique du transport maritime, dénoncent des pratiques qu’ils jugent « dégradantes et discriminatoires » : absence de contrats formels, licenciements abusifs, et marginalisation au profit de personnels étrangers.
Le syndicat OMEPR accuse notamment la direction de PESCHAUD, appuyée par des complicités au sein de l’administration maritime, d’avoir institutionnalisé un modèle d’exploitation « hors-la-loi ».

Selon la déclaration, certains agents publics, censés protéger les travailleurs, se seraient transformés en facilitateurs de ces dérives. Le nom d’Alain Rai Ondo Abagha, cadre du Bureau de la Réglementation maritime à Port-Gentil, est cité comme celui d’un fonctionnaire « partial », accusé de protéger l’entreprise incriminée. Si ces accusations restent à vérifier, elles soulignent le fossé entre le cadre juridique du travail maritime et sa mise en œuvre.

Collusion et fragilité institutionnelle

Au-delà du cas PESCHAUD, c’est tout un système de coproduction des abus entre armateurs, syndicalistes complaisants et administration maritime qui est dénoncé. L’OMEPR parle ouvertement de « collusion frauduleuse » entre la société, certains syndicalistes et des responsables publics.
Ce type d’arrangement, courant dans plusieurs secteurs gabonais, traduit la fragilité d’un appareil administratif où la proximité entre le pouvoir économique et la régulation publique brouille les frontières entre contrôle et connivence.

« Les marins gabonais ne sont plus protégés par leur État », confie un cadre syndical sous couvert d’anonymat. Cette phrase résume le sentiment d’abandon d’une frange du salariat national confrontée à la mondialisation sauvage d’un secteur pourtant stratégique pour l’économie gabonaise.

Des alertes ignorées, un État silencieux

Les accusations ne datent pas d’hier. Dès janvier 2025, des marins avaient dénoncé l’usage présumé de faux brevets de capitaine d’origine russe par des ressortissants étrangers opérant pour PESCHAUD. L’affaire, si elle avait été instruite, aurait pu se transformer en scandale d’État tant elle touche à la sécurité maritime nationale.
Mais, selon les marins, les autorités ont préféré faire taire les lanceurs d’alerte plutôt que d’enquêter sur les irrégularités. Une posture qui illustre la culture de l’étouffement administratif, où le réflexe hiérarchique prime sur l’obligation de transparence.

Le cri d’alarme d’un syndicat isolé

Dans sa sortie publique, l’OMEPR réclame la dissolution du comité de suivi de PESCHAUD, jugé partial, et la création d’une commission nationale d’arbitrage indépendante à Libreville.
Mais dans un contexte où la syndicalisation reste fragile et souvent politisée, la voix de l’OMEPR peine à se faire entendre. Ses accusations visent aussi d’autres syndicats du secteur, soupçonnés de compromission avec les employeurs.

Ce déficit de solidarité syndicale, combiné à la peur des représailles, contribue à maintenir les marins gabonais dans une forme de servitude moderne: employés sans contrat, parfois sans assurance, et exposés à des licenciements arbitraires.

Le défi d’Oligui Nguema : restaurer la justice sociale

En interpellant directement le président Brice Clotaire Oligui Nguema, l’OMEPR place la question sur le terrain politique. Le chef de l’État, qui a fait du « retour à la justice sociale » un pilier de son discours depuis la transition de 2023, se trouve désormais face à un test concret : rétablir l’État de droit dans un secteur gangrené par les connivences.

Au-delà du cas PESCHAUD, cette affaire révèle les failles structurelles de la gouvernance maritime gabonaise : une administration opaque, des contrôles inefficaces et un appareil syndical en perte de crédibilité.
Dans un pays où le transport maritime reste vital pour l’approvisionnement et les exportations, l’indifférence pourrait se payer cher économiquement comme socialement.

Un signal fort attendu

La déclaration de l’OMEPR, lue en présence de plusieurs membres et sympathisants au RENAJI, pourrait marquer un tournant si elle suscite une réaction institutionnelle. Mais sans action rapide des ministères concernés: Transports, Travail et Marine Marchande. Le risque est grand que cette énième dénonciation se perde dans les limbes bureaucratiques.

Comme souvent au Gabon, le scandale ne tient pas tant dans ce qui est dit que dans ce qui ne sera pas fait.

NB: notre rédaction reste ouverte à toute information d’équilibre.